Fin 1944, L’épuration en Aveyron

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Contrairement à une image dominante d’une épuration sauvage « persécutant femmes tondues et notables », De Gaulle et ses soutiens politiques ont plutôt opté pour une « non- épuration »favorable au statut quo général des élites inauguré par le CFLN à Alger, cette option bénéficia même à des criminels de sang.

( « l’épuration a été réduite a la collaboration de plume ou à la répression policière ou crapuleuse la plus indéniable, le haut clergé a été explicitement exclu du champ des recherches et des questionnements, et en ont pratiquement disparu le capital financier, l’armée, la magistrature-sauf notable exception-la police dans son ensemble et le clergé ».)

 La NON épuration En France » de 1943 aux années 1950 » Annie Lacroix-Riz Edition Armand Colin

On estime que quatre-vingt personnes ont été victimes d’exécutions sommaires en
Aveyron » Ce chiffre est toutefois à nuancer. l’essentiel des exécutions ont eu lieu avant la Libération. Alors que le département comptabilise cinquante-cinq exécutions pendant l’Occupation du fait de résistants seulement six ont eu lieu après la libération.
L’Aveyron fait partie des départements où le chiffre d’exécutions après la Libération
est le moins élevé.

Quelques semaines après la libération du département, est instituée une « cour martiale » par les militaires FFI qui siège à Rodez. La « cour martiale » de Rodez aussi nommé « tribunal militaire de Rodez » ou encore
« tribunal militaire du maquis Rolland » a été instituée par le colonel de Chambrun, chef régional FFI. Ce dernier a pris « l’initiative de constituer des
« cours martiales », une par département ou par grande ville.

Les audiences sont menées par des membres des FFI et non des magistrats. (La plupart de ces derniers vont d’ailleurs faire l’objet d’une épuration)

La cour de justice de l’Aveyron prend le relais en septembre 1944 jusqu’en avril 1945. (La Cour de justice de l’Aveyron est instituée par l’ordonnance du GPRF en date du 26juin 1944, relative à la répression des faits de collaboration. Elle dépend de la Cour
d’Appel de Montpellier et se tient au chef-lieu du département, Rodez.)

En Aveyron, Monseigneur Challiol, ultra-pétainiste n’a donc pas été inquiété malgré, entre autres, son mutisme obsédant (pour ne pas dire plus) face aux lois anti-juives et des rafles dans l’Aveyron, son absence de réaction (pour ne pas dire plus) face aux écrits antisémites des revues religieuses, l’Union Catholique, La croix de l’Aveyron, la Revue Religieuse de l’Aveyron, etc…. .

Dans un rapport du préfet de l’Aveyron en date du 4 octobre 1944, au commissaire régional de la République à Montpellier, on peut relever le passage suivant : »L’évêque de Rodez ayant eu une attitude nettement favorable à Vichy et à la collaboration, son départ serait une mesure bien vue de l’opinion résistante du département » AD Aveyron Dos 201W-76

On pourra lire dans le N° 14 de Résistance : Mgr Challiol, vous êtes vous souciez de mes camarades et de moi-même? Vous-êtes vous attendri sur notre sort lorsque nous avions pour seule nourriture journalière une louche de rutabagas bouillis, à midi et le soir, et 200 gr de pain?…En 14 mois, j’ai maigri de 22 Kg. Vous ne vous êtes jamais ému de notre misère et votre charité chrétienne est à sens unique, en faveur des traitres …..« 

Il figurera dans la liste des 22 évêques « indésirables » à épurer à la libération. Sanction qui ne lui sera pas appliquée. Non seulement il ne sera pas inquiété mais il présidera scandaleusement les funérailles des 30 victimes de Sainte-Radegonde , le 20 août, et restera a son poste jusqu’en 1948.

Le rédacteur en chef de ce journal, par contre, antisémite forcené, chantre de la collaboration, pro-Allemand, Pierre Fau , extrait de la prison de Rodez par des maquisards, sera jugé et exécuté.

Le préfet Marion arrêté, condamné à mort puis emprisonné à la Libération est enlevé par les maquisards et exécuté le 16 novembre 1944 dans la carrière de la Puya, lieu-dit sur le territoire d’Annecy (Haute-Savoie).

Pour l’ensemble de la communauté résistante en Aveyron, l’épuration est unanimement tronquée et reste circonspecte face à de nombreuses adhésions. «Méfions nous des brebis galeuses entrées depuis peu parmi nous. Il y avait dans nos rangs, au jour de la libération, beaucoup trop d’uniformes encore imprégnés de naphtaline et beaucoup de brassard sur lesquels on aurait pu trouver l’écusson de la légion sous la croix de Lorraine » Rouergue républicain 8/9/44 Un membre de la commission départementale d’épuration affirme dans le même journal « L’épuration est sabotée ,(…)et qu’en cette période révolutionnaire, le grand danger se trouve dans la légion des silencieux et des neutres qui apparemment acceptent la République par la force des choses , dans la bourgeoisie apeurée et pusillanime et surtout dans les administrations pas assez épurée. »

De plus, 37% des peines prononcées par la Cour de justice de l’Aveyron ont été
commuées
La majorité des révisions ont été réalisées entre 1945 et 1947. En effet, quatre
peines sur les six ayant fait l’objet d’une mesure gracieuse l’ont été sur cette période. Certains ont pu avoir leur peine commuée plusieurs fois.

Le cas d’Yvette Bachellerie est significatif (Sa peine commuée plusieurs fois a fait que condamnée aux travaux forcés elle ne subira en définitive qu’une dégradation nationale de 10 ans)
Elle est condamnée par la Cour de justice le 27 mars 1945 pour ses actes en tant que milicienne à cinq ans de travaux forcés et dix ans d’interdiction de séjour. Par décret du 26 novembre 1946, le reste de sa peine de travaux forcés est commuée en peine d’emprisonnement de la même durée. De plus, Yvette Bachellerie fait l’objet d’une libération conditionnelle par décret du 6 novembre 1947. Elle formule alors un recours en grâce pour ses dix ans d’interdiction de séjour.
Ces derniers sont finalement transformés en interdiction de résidence et en une dégradation nationale de dix ans par le décret du 26 juin 1950.

Plusieurs lois d’amnistie sont promulguées : celles du 16 août 1947, du 5 janvier 1951 et du 6 août 1953.

L’assouplissement des peines prononcées par les tribunaux spéciaux de l’Épuration en Aveyron peut être lié au fait qu’il ne faut pas contrarier la volonté d’apaisement de la population dans le département qui dans sa grande majorité a été pétainiste…

Subervie, le maire désigné de Rodez est favorable à la clémence et refuse de reconnaître le délit d’opinion envers les pétainistes

Notons que Subervie a été légionnaire pendant toute la durée de l’occupation*. Il est lui même surpris de sa nomination de maire : »quand le comité régional de la résistance venait me voir et m’informait que c’était à moi qu’incombait la charge de diriger la mairie de Rodez, j’objectais (……) le fait que je n’avais jamais cessé d’appartenir à la légion bien que mon activité se soit rigoureusement bornée aux secours des prisonniers et que je n’avais participé à aucune manifestation tapageuse et encore moins clandestine ….. » (Aveyron magazine n°29 février /janvier 2005)

Dans le même magazine à propos de l’épuration : « On me disait qu’il y en avait bien d’autres enfermés dans un Wagon en attendant son départ sur le maquis de Marc d’où on ne revenait généralement pas (sic) » Parlant des FTP à l’hôtel Biney :« La pagaille qui paraissait régner dans la maison me donna une assez piètre opinion sur la discipline de ces troupes d’occasion« (Ces troupes d’occasion qui se battaient au risque de leur vie pendant que lui était bien à l’abri au sein de la légion des combattants au service de Pétain). A propos du journal « Le Rouergue Républicain » journal du pourtant modéré CDL, Subervie écrit : »La création du Rouergue Républicain au lendemain de la libération est un exemple de cette espèce de dictature qui sévit alors dans tous les domaines. On va voir quelle magnifique occasion ce fut de pousser ses amis et de leur procurer un fromage confortable tout en assurant à certains partis la direction de la presse et par conséquent la formation politique » Visiblement il regrette les journaux collaborationniste tel que la dépêche ou autres.

*A la libération, la jurisprudence admise était que jusqu’en 1942 on ne puisse pas tenir rigueur de l’appartenance à la légion mais après 1943 ceux qui l’ont suivie ouvertement devaient être pour le moins suspendus.

On comprendra que nommer maire un tel personnage était pour le moins curieux et que les FTPF, après de telles resucées vichystes n’en voulaient pas.

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La voix du peuple 3 décembre 1944. Jonquet et Guibert ont été à l’origine d’un trafic illicite scandaleux pour le compte des autorités allemandes.(voir ci-dessous « l’épuration économique »
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La voix du peuple 24 décembre 1944 Pierre Fau rédacteur en chef de l’Union Catholique qui a appelé les Aveyronnais à collaborer à longueur d’éditos fut extrait de la prison de Rodez le 3 janvier 1945 ,avec Vanucci et un dénommé Randeynes, par une cinquantaine de maquisards et exécuté sans autre forme de procès.(Vanucci survivra à l’exécution et sera condamné à morts voir ci-dessous)
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la voix du peuple 10 février 1945. Condamné à mort le 7 décembre 1944, Vanucci, milicien et Waffen-SS ne fut jamais exécuté, le général De Gaulle commuera sa peine en travaux à perpétuité et il aurait fini sa vie comme taxi à Paris….
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La voix du peuple 31 mars 1945; Bachellerie père était le chef de la milice d’Aubin abattu le 25 février 1944 par les FTP et qui décéda à l’hôpital de Decazeville
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16 juin 1945 la voix du peuple. Ratier est celui qui a prévenu les Allemands de Capdenac et entrainé le 23 juin la tragédie de Lavayssière-Capdenac Vingt-et-un maquisards furent tués à Lavayssière et onze furent faits prisonniers dont sept fusillés le soir même près du crassier de Capdenac-Gare (Aveyron) .

Epuration économique

Pendant quatre ans la France servit de plat de résistance au festin du Reich. Toutes les administrations, tous les services allemands se livrèrent à un pillage inégalé. Heureux comme des dieux païens, les Allemands puisèrent dans les richesses du pays. Vivres, denrées, produits finis, œuvres d’art, machines, minerais, or, argent, diamants, tout ce qui pouvait l’être était entassé dans des trains et des camions à destination de l’Allemagne.
L’addition de tous ces pillages équivaut à plus de mille milliards d’Euros.

Comme partout en France, dans le département, une grande part de la production agricole et la plupart des activités industrielles aveyronnaises seront accaparées par l’économie de guerre du Reich. Les gros industriels gantiers, ceux de l’électricité, des caves de Roquefort, ceux de la Vieille-Montagne, ceux de Commentry-Fourchambault-Decazeville ont fourni allègrement les Allemands. Le charbon servira, entre autres, à alimenter la kriegsmarine basée à Bordeaux et les convois SNCF de la vallée du Rhônes. Le gaz produit par la cokerie de Decazeville sera utilisé au fonctionnement des véhicules allemands. Le cuivre et le bronze produit à Boisse-Penchot partira en pleins wagons vers l’Allemagne, etc …

EX, la BOMAP. L’usine de Villefranche de Rouergue, dirigée par le sieur Savignac, chef milicien fabriquait de la visserie pour les industriels de l’armement et de l’automobile

La voix du peuple 28 avril 1945
la voix du peuple 22 mai 1948
La voix du peuple 15 mai 1948

Autre exemple, des contrat qui ont permis d’équiper les troupes engagées à Stalingrad avec des dizaines de milliers de moufles et gilets fourrés fabriqués dans les usines Millavoises. Le marché s’avérait de deux sortes : l’équipement militaire de l’armée allemande et le luxe ou semi-luxe essentiellement pour une clientèle allemande ce qui a entrainé la confiscation des profits illicites (épuration économique ) à la libération.

(Les comités de confiscation ont été instaurés par l’ordonnance du 18 octobre 1944 complétée ensuite par celles du 6 janvier et du 2 novembre 1945, afin de saisir des profits réalisés entre le 1er septembre 1939 et la date légale de cessation des hostilités en Europe, soit le 8 mai 1945)

En matière de confiscation des profits illicites , Millau a occupé la première place pour avoir été
pendant toute la période troublée, le centre d’un trafic illicite scandaleux pour le compte des autorités allemandes.

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La voix du peuple organe du PCF pour l’Aveyron 7/14 janvier 1945
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Source : CAEF , B 57658 ministère des Finances et des affaires économiques 30 septembre 1948

L’épuration économique a été traitée de façon tout aussi indulgente (c’est un euphémisme) que celle pour les collaborateurs. Le préfet de l’Aveyron notera en février 1946 « l’impopularité de la hausse des tarifs de certains services et produits entraine un accroissement du ressentiment envers les profiteurs de guerre qui jouissent de leur fortune en toute impunité » (ADH ,137 W 22,rapport mensuel du 9 mars 1946) .

En décembre 1944, un Aveyronnais écrira : « le comité d’épuration a promis le nettoyage  mais il faudrait nettoyer partout où on faisait du commerce, ce serait un trop gros massacre et on n’a pas encore commencé et on ne commencera jamais( ADH, 999 W 214, interception postale, 29 octobre 1944, Durenque )

Pour la région de Montpellier ,c’est dans l’Aveyron que les motivations relevant de la collaboration économique semblent être les plus nombreuses. Compte tenu de l’absence d’épuration officielle, une épuration paralégale des collaborateurs économiques s’est manifestée notamment par des attentats contre « ces profiteurs de la guerre » l’entrepôt de matériaux de construction de R. à Rodez, le domicile de L., industriel à Roquefort ou celui de l’ancien directeur de la société métallurgique Commentry-Fourchambault à Decazeville sont touchés.(10 août,19 août (ADAv ,2W 7/2) 10 février 1945(ADAv 2W 7/1) etc…..

Tableau 1. – Activité des CCPI78.

L’on voit ici germer cette idée forte et durable selon laquelle l’épuration économique n’aurait touché que les lampistes, ne serait restée que sur l’écume de la grande vague de réformes portées par le programme du CNR.

Epuration des organisations paysannes vichyste

La corporation paysanne de Pétain a été dissoute (ordonnance du 26 juillet 1944) mais l’organisation chargée de la liquider (le comité départemental d’action agricole )était truffée de membres du conseil régional corporatif (sur huit membres nommés, six étaient originaires de la corporation paysanne de Vichy et l’administrateur provisoire chargé de la liquidation des biens de la corporation était rien de moins que son ancien conseiller financier. Au lieu de « gommer » l’œuvre du gouvernement de Vichy, la Corporation paysanne a laissé son empreinte durable dans l’organisation actuelle de l’agriculture, la FNSEA) qui lui succèdera et nommera comme secrétaire général, René Blondelle, ancien syndic régional de la Corporation paysanne pendant l’occupation qui sera ensuite président de la FNSEA de 1949 à 1954 ….. Aux élections professionnelles de 1946, la plupart des dirigeants reviennent, après une courte épuration, aux postes de commande. Si on examine la liste des présidents et secrétaires généraux de la FNSEA jusqu’en 1961, on s’aperçoit qu’ils ont tous fait partie de l’organisation corporatiste.

En conclusion, plus encore qu’ailleurs, l’épuration en Aveyron a été excessivement indulgente du fait de pressions et d’influences vichyste restées très puissantes. Fait extraordinaire, c’est du fait se cette épuration timide et le juste châtiment des collaborateurs que la résistance a fait l’objet des calomnies les plus grossières. Comme partout en France mais plus encore en Aveyron, on est loin du bain de sang annoncé ci et là.

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